A t-on besoin en France d’une loi contre la discrimination capillaire ?

27 mars 2024 17:30

© Pexels
© Pexels
La dsiscrimination capillaire sera-t-elle bientôt pénalisée en France ? Olivier Serva, député de la Guadeloupe et porte-parole du groupe Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires à l’Assemblée nationale) a proposé une loi qui vise à sanctionner les discriminations capillaires notamment dans le monde du travail. Examiné en commission le 20 mars dernier, le texte sera discuté à l’Assemblée nationale les 27 et 28 mars.

La discrimination capillaire : est-elle présente en France ? 

C’est en septembre 2023 qu’Olivier Serva, le député guadeloupéen a déposé une proposition de loi pour reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire. Il souhaite modifier le code général de la fonction publique, le Code pénal et le Code du Travail, afin d'y faire apparaitre une précision portant spécifiquement sur la discrimination capillaire. La proposition de loi transpartisane portée par Olivier Serva se présenterait ainsi : "Personne ne peut être discriminé selon la longueur, la texture, la couleur ou le mode de coiffure".

Olivier Serva s'inspire du "Crown Act" promulgué en 2019 en Californie pour faire intégrer dans le champ de la répression pénale des discriminations en France, toute discrimination ou distinction fondée "notamment sur la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux." Aux Etats-Unis, 20 États ont déjà adopté des législations afin de lutter contre les discriminations capillaires.

En France, même s’il n’existe pas de statistiques sur la discrimination capillaire (parce qu’il est interdit de faire des études ethniques), "la discrimination capillaire existe, il y en a de toutes sortes, c’est incontestable", affirme le sociologue Jean François Amadieu. Selon lui, les études sociologiques montrent que dans l’imaginaire collectif, les personnes qui ont des cheveux texturés et relâchés, sont associées à des personnes moins sérieuses, moins rigoureuses, plus brouillonnes, comparées à celles qui ont des cheveux plus lisses et coiffés, quelle que soit la couleur de la peau. Et c’est cela qui conduit aux discriminations, notamment dans l’accès à l’emploi.

Une loi sur spécifique portant sur la discrimination capillaire en France servirait à reconnaître, à protéger, à sensibiliser, à prévenir et à promouvoir l'inclusion et la diversité, ce qui contribuerait à créer une société plus équitable et respectueuse des droits de chacun.


Sur quels fondements se baser ? 

Claire Hédon, l'actuelle Défenseure des Droits (une autorité indépendante de rang constitutionnel) précise qu’en 2023, seules 2% des réclamations reçues en matière de discriminations portaient sur l’apparence physique. L’une d’elles concernait les parents d’un petit garçon de 4 ans qui avaient saisi l’instance car la cheffe d’établissement où il était scolarisé lui imposait de modifier sa coupe "afro", en déclarant notamment qu’elle faisait "sale et négligée" et lui donnait une apparence de "bad boy". La cheffe d’établissement justifiait sa décision d’une part, par un souci de sécurité pour l’enfant vis-à-vis de ses camarades - car une fois lors d’une récréation, les enfants lui avaient tiré les pointes des cheveux - et, d’autre part, par respect du règlement intérieur de l’école qui interdisait les "coiffures fantaisistes".

Reste qu'il est difficile de quantifier le phénomène : beaucoup de personnes qui sont victimes de discrimination capillaire dans le milieu professionnel ou autre, subissent sans rien dire. Si la France ne dispose d'aucune donnée sur ce type de discrimination, le député Olivier Serva renvoie notamment aux statistiques anglo-saxonnes pour appuyer son projet de loi :

Aux États-Unis, où les statistiques ethniques sont autorisées, on apprend que 66% des femmes noires disent changer de coiffure pour un entretien d'embauche, et 41% se les lissent, d’après une étude publiée en février 2023 par la marque de cosmétique Dove et le réseau social LinkedIn.

Selon cette même étude, 20% des femmes noires ont déjà été renvoyées chez elles à cause de leurs cheveux tandis que 25% d'entre elles pensent qu'elles se sont vues refuser la possibilité de passer un entretien d'embauche à cause de leur coiffure, et même 33% des 25-34 ans. À noter qu'en 2020, une précédente étude sur la question réalisée par l'université de Duke (Etats-Unis), avait dressé le même constat.

Au Royaume-Uni, une étude menée en 2009 par Halo Collective, une organisation qui œuvre pour un avenir sans discrimination capillaire, a montré que 59% des élèves noirs sont victimes d'insultes ou de questions gênantes sur leurs cheveux à l'école. L’étude démontre qu’un adulte sur quatre a vécu une expérience négative à l'école en raison de sa nature de cheveux, et une femme noire sur cinq se sent obligée de lisser ses cheveux pour aller au travail. Mais aussi, l’étude révèle qu’une femme blonde sur trois se colorerait les cheveux en brun afin d'augmenter ses chances professionnelles et paraitre plus intelligente aux yeux de son employeur


Une volonté de sensibilisation 

L'adoption d'une loi contre la discrimination capillaire contribuerait à sensibiliser davantage le public aux préjugés et aux stéréotypes liés aux cheveux, tout en éduquant sur l'importance du respect de la diversité capillaire et de la valorisation de toutes les formes de cheveux.

D’ailleurs, dans une interview accordée au site Actu.fr, Olivier Serva admet avoir reçu des dizaines de témoignages assez édifiants de femmes salariées aux cheveux dits “texturisés” écrivant : “je suis employée, mais si je veux passer des cheveux lisses à naturels, on me dit que ma coupe ne fait pas très sérieuse, pas très propre…” Pour le député : “Cette loi va permettre à toutes celles et tous ceux qui sont actuellement employés et en souffrance, de pouvoir porter leurs cheveux comme ils l’entendent. Avec cette loi, leurs employeurs et leurs collègues ne pourront pas faire de remarque. Cela va libérer une pression insoupçonnée sur les personnes déjà en emploi. Ce n’est pas que pour les gens qui vont vers un emploi, mais aussi pour ceux qui, depuis parfois 30 ans, se conforment à une doxa qui correspondait finalement à aplatir leur personnalité. Rien que pour ça, cette loi est pertinente.”

Olivier Serva précise : “Dans le monde, six personnes sur dix n’ont pas les cheveux lisses. Ce n’est donc pas une problématique de niche ou de minorité. Le sociologue Jean-François Amadieu disait : "acceptons l’originalité des êtres humains” et particulièrement en France. Loin de l'appauvrir, l’originalité l’enrichit. Accepter son originalité et pouvoir se faire accepter des autres, c’est être bien pour soi et être bien dans la société. La société française s’enrichirait de mieux accepter l’originalité de l’autre et de voir davantage les qualités intrinsèques que l’apparence physique.”

Outre l'existence et la reconnaissance de ce type de discrimination, le député cherche à sensibiliser sur ce qui en découle notamment sur le plan sanitaire et économique. Selon une étude des Instituts américains de la santé, les NIH (National Institutes of Health), publiée en octobre 2022, dans le Journal of the National Cancer Institute, les femmes qui utilisent des produits chimiques pour lisser leurs cheveux présenteraient en effet un risque accru de cancer de l’utérus. En France, des néphrologues de l’hôpital de la Conception de Marseille ont mis à jour les risques d’insuffisance rénale après l’utilisation de produits lissants dans une étude publiée en mars 2024.

"Les femmes qui utilisent des produits lissants ont trois fois plus de chances d'avoir un cancer de l'utérus ou des fibromes. Les produits lissants induisent des problématiques liées au dysfonctionnement des reins. Je pense à toutes celles et tous ceux qui sont en entreprise aujourd'hui, qui ont dû lisser leurs cheveux pour se faire recruter et qui après un an, deux ans, quinze ans, vingt ans, trente ans dans l'entreprise veulent revenir à leurs cheveux naturels et qu'on leur dit : Ah bah tiens, aujourd'hui c'est Marley, c'est le paillasson au-dessus de la tête. Ces personnes-là pourront dire : Attention, monsieur l'employeur, c'est une discrimination capillaire.” explique Olivier Serva à France Info.  


Une proposition de loi contestée

Nécessaire pour certains, futile pour d’autres, la proposition divise. En France, le Code du travail stipule déjà “qu’aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite en raison de l’apparence physique” et condamne 25 motifs de discriminations, dont l'âge, le sexe, l'état de santé, l'accent, mais aussi spécifiquement l’apparence physique dont la coiffure fait partie.

C'est pour cette raison, entre autres, que les plus critiques (à savoir certains responsables de recrutement et personnalités politiques) jugent cette proposition de loi farfelue, redondante voire anecdotique.

A France Info, Laura Ballester, avocate en droit du travail indique que : "Le juge sait que le physique inclut les cheveux. Ce n'est pas un nouveau critère de discrimination qui est apporté, c'est une précision. Maintenant, où est-ce qu'on arrête la précision ? Est-ce que si on parle de cheveux, on doit ensuite parler d'autres parties du corps ? Ça pose aussi la question de cette tendance à faire beaucoup de lois et souvent modifier une loi qui est déjà difficile à appréhender pour les particuliers", souligne la spécialiste.

Si la loi est votée, la France deviendrait le premier pays à avoir légiféré contre les discriminations capillaires.

Découvrez les annonces près de chez vous

Déposer une annonce Créer une alerte annonce